Un Marx et ça repart... en Enfer !

Publié le par Simon Castéran

Un Marx et ça repart... en Enfer !

A Podgorica, la capitale du Monténégro, on n’aime visiblement pas beaucoup les marxistes. Cela fait pourtant 22 ans que la Yougoslavie soviétique du maréchal Tito a disparu ; la ville elle-même, baptisée Titograd (la ville de Tito) entre 1945 et 1990, a depuis repris le nom qui était le sien depuis 1326. Partout, l’économie de marché s’installe et prospère, et le Monténégro, après être passé sous tutelle soviétique puis serbe, souhaite désormais adhérer à l’Union européenne. 

On pourrait croire alors que l'ex-république socialiste a tourné la page de son passé marxiste. Mais c'était compter sans la rancoeur des ecclésiastiques locaux, qui semblent avoir encore quelques comptes à régler avec les anciens hérauts du communisme. Dans le monastère orthodoxe d'Ostrog, le touriste occidental en quête de spiritualité pourra ainsi admirer, sur une fresque, le traître Judas côtoyer Hitler... Ainsi que Lénine et le maréchal Tito ! Lequel maréchal se retrouve également sur la fresque du Jugement dernier qui orne la toute nouvelle cathédrale de la Résurrection du Christ, inaugurée il y a deux ans à Podgorica. Comme le rapporte Sophie Gherardi dans un article publié sur le site Fait-religieux.com, « dans les flammes de l'enfer, peintes comme un fleuve ardent, un monstre dévore les damnés. Un groupe de pécheurs  attend son châtiment, et il est facile d'y reconnaître à gauche le maréchal Tito, jeune, en uniforme, et à ses côtés les pères fondateurs de la doctrine communiste au XIXe siècle, Karl Marx et Friedrich Engels. Le peintre, dont le nom n'a pas été révélé, s'inscrit dans une double tradition : la représentation de personnages historiques parmi les damnés (le poème de Dante L'Enfer en compte une quantité, dont le pape Boniface VIII), et la représentation des héros communistes sur les affiches de propagande soviétiques, elles-mêmes inspirées de l'art byzantin. »

De gauche à droite : le maréchal Tito, Karl Marx et Friedrich Engels. Et bien sûr le Diable.

De gauche à droite : le maréchal Tito, Karl Marx et Friedrich Engels. Et bien sûr le Diable.

Bon, Tito ou Lénine, on peut comprendre qu'ils aient leur place en Enfer. Mais Marx et Engels ? De quel droit, selon quelle logique, punirait-on les théoriciens pour les fautes de leurs disciples ? Les deux auteurs du Manifeste du parti communiste avaient pourtant le meilleur des alibis : ils sont morts trente ans avant la première révolution socialiste ! A ce compte-là, Dieu et Jésus ont du mouron à se faire pour tous les méfaits commis en leur nom au temps des Croisades et de l'Inquisition... 

Chose curieuse, la vision d'un Karl Marx visitant l'Enfer est moins incongrue qu'il n'y paraît au premier abord. Du moins si l'on en croit la thèse d'un jeune chercheur de l'université de McGill de Montréal (Canada), William Clare Roberts. Dans son article Marx in Hell : The critique of politic economy as katabasis (2005), ce spécialiste des sciences politiques recense, dans l'oeuvre de Karl Marx et notamment dans sa préface à la première édition du Capitalles nombreuses références à L'Enfer de Dante. Pour W.C. Roberts, Marx aurait ainsi inscrit son voyage critique à travers l'économie dans la tradition occidentale de la katabase, la descente aux Enfers. 

Malheureusement pour le Messie laïc du prolétariat, tout le monde n'est pas aussi lettré. Ainsi, pour certains chrétiens illuminés, rien d'étonnant à ce que Karl Marx finisse dans les lacs atroces de l'Enfer, car de son vivant, celui-ci aurait été un suppôt de Satan ! Pour preuve, comme nous l'apprend Kelleigh Nelson, outre ses pratiques et ses convictions, « même sa coupe de cheveux bizarre participait de ses croyances sataniques » ! Cette ancienne productrice américaine de talk-shows radio, proche des conservateurs du Tea Party, est une grande fan du pasteur Richard Wurmbrand ; lequel, longtemps martyrisé par le pouvoir communiste à cause de sa foi, a défendu seul l'idée, dans son ouvrage Marx & Satan (Apostolat des éditions, 1976), que le théoricien allemand avait non seulement succombé aux forces occultes, mais que ses écrits étaient directement inspirés par le Diable ! En se rebellant contre Dieu et la religion, Karl Marx n'aurait, en somme, fait qu'incarner sur Terre une sorte de Lucifer moderne... 

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B
&quot;Il [Dieu] leur avait expressément défendu [à Adam et Eve] de toucher aux fruits de l'arbre de la science. Il voulait donc que l'homme, privé de toute conscience de lui-même, restât une bête, toujours à quatre pattes devant le Dieu éternel, son Créateur et son Maître. Mais voici que vient Satan, l'éternel révolté, le premier libre penseur et l'émancipateur des mondes. Il fait honte à l'homme de son ignorance et de son obéissance bestiales ; il l'émancipe et imprime sur son front le sceau de la liberté et de l'humanité en le poussant à désobéir et à manger du fruit de la science.&quot;<br /> (Mikhaïl Bakounine - Dieu et l'État)<br /> <br /> Voilà, ça m'y faisait penser...
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S
Merci mon cher Boutanox, cela tombe tout à fait à propos ! Encore un qui a dû sûrement finir en Enfer... Si Bakounine y a rencontré Marx, Engels, Trotski, Tito et Lénine, je n'ose imaginer les conversations qu'ils ont dû avoir... Et qui doivent encore durer ! &quot;Mais fermez-la, nom de Dieu !&quot; soupire le Diable.