Simon Castéran, « chantre du consumérisme »

Publié le par Simon Castéran

Simon Castéran, « chantre du consumérisme »

Mea culpa. Mea maxima culpa. À vous tous qui me lisez, je vous dois l'affreuse vérité : je vous ai menti. Je ne suis pas celui que vous croyez. Et les idées que je professe ici, bien qu'elles soient les miennes, ne révèlent pas ma vraie pensée. En vérité, je vous le dis : je suis un Tartuffe. Un hypocrite, un menteur, et pour ceux d'entre vous qui ont la foi, un agent du Malin. Et comme il m'a trompé, je vous ai trompé à mon tour, aveuglé que j'étais par mon orgueil.

Car oui mes amis, depuis des années que je développe une théorie critique du capitalisme, j'avais fini par me convaincre que le consumérisme dans lequel nous baignons tous était, plus qu'une simple pratique économique, le rite en action de cette religion séculière que l'on appelle le libéralisme. Et qu'en proclamant mes thèses sur ce blog, tel un Luther de supermarché, je m'en étais fait un critique efficace, à défaut de connu.

Rien, d'ailleurs, ne m'aurait fait plus plaisir que de me voir reconnu comme un hérétique des temps actuels ; mais hélas ! Sous mes fenêtres, nulle foule en colère ne vint jamais réclamer que l'on me crucifie, pas plus que de bulle d'excommunication dans ma boîte aux lettres. Quant au bûcher, n'en parlons même pas ; à croire que la Sainte Inquisition est aujourd'hui à ce point soucieuse de son bilan carbone, qu'elle n'ose même plus faire un feu de joie d'un importun comme moi.

Capture d'écran de l'un de mes rêves récurrents. Ou de La vie de Brian des Monty Python, je ne sais plus. DR

Capture d'écran de l'un de mes rêves récurrents. Ou de La vie de Brian des Monty Python, je ne sais plus. DR

Mais alors que je commençais à envisager, pour me faire un peu de pub, d'aller déféquer au beau milieu d'un magasin Zara ou de m'immoler devant la foule un jour de soldes, la lumière me vint, sous la forme d'un article du blog Je ne suis pas seul. Tenu par Greg, un éducateur spécialisé nourri tant de la philosophie occidentale que de la parole du Christ, celui-ci est "né d’une volonté de penser et de donner à penser sur le web". Et à penser il me donna puisque, dans un post publié quelques jours après les attentats de Paris en novembre 2015 – mais que je n'ai découvert qu'il y a quelques jours – son auteur avait réagi à ma lettre à Daech, en y voyant la marque de l'esprit d'un "chantre du consumérisme".

Ô lumière divine et éclairante, qui dissipe les ténèbres de l'orgueil !

Moi qui me croyais un vaillant saumon, remontant contre le courant de l'idéologie mainstream pour m'en venir féconder de mes oeufs la pensée critique, je n'étais en fait que le gras et placide ours des montagnes qui, bien installé dans le confort des cimes de la vie occidentale, se nourrit de l'agitation du monde pour son seul plaisir égoïste. Est-ce le Malin, ou ce païen de Dieu Marché, qui m'a ainsi inspiré ? Toujours est-il qu'en affirmant haut et fort mon goût pour les petits plaisirs de la vie, pour les concerts de rock, les bons petits restaus entre amis et les divertissements que nous offrent la société de consommation, j'ai révélé sans le vouloir la vérité de mon être.

Celle d'un "hédoniste chevronné", nous dit Greg ; un jouisseur qui, avec l'humoriste américain John Oliver et élisabeth Lévy, la très droitière fondatrice du journal en ligne Causeur.fr, n'ont su, après les attentats, que "prendre la défense de notre pays sur la seule base de sa capacité à consommer et à jouir". Et qu'importe que, dans mes écrits précédents, j'aie dénoncé la récupération commerciale de Noël, le dévoiement du mot de péché ou le capitalisme comme nouvelle religion de l'Occident ; car à ceux qui Le suivent, tel notre blogueur catholique et breton (pléonasme), le Seigneur dessille les yeux bien mieux qu'une simple analyse de texte.

Aussi, pour ledit Greg, cette défense de notre mode de vie occidental serait à l'origine même du désir de violence de nos djihadistes, qui prendraient ainsi dans le sang et la poudre versés leur revanche sur une société injuste qui les a délaissés. Une hypothèse que je partage. Étant persuadé depuis longtemps que la guerre qui fait rage oppose moins une vision de l'Islam à la chrétienté qu'à la société de consommation, dont les Croisades de la mondialisation ont remplacé la Croix par le dollar, je comprends fort bien que les cibles les plus nombreuses des djihadistes ne soient pas les églises – malgré l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray – mais les symboles de l'économie occidentale. Sinon, pourquoi Al-Qaeda aurait-il choisi de frapper le 11 septembre 2001, les tours du World Trade Center à New-York, haut lieu de la finance mondiale ?

 

Tout comme j'approuve mon procureur d'un jour, lorsqu'il écrit que "la meilleure réponse à long terme que nous puissions apporter pour vaincre le terrorisme, c’est de repenser notre rapport à la consommation et à l’existence. Si jouir de ce que la terre nous offre et des plaisirs de la chair est un bien, il ne peut pas être mis sur un piédestal et proclamé comme le but ultime de nos vies". J'irai même, au risque de choquer notre cher catholique, jusqu'à dire que nous aurions bien besoin d'une nouvelle Réforme protestante, qui dès le XVIe siècle avait appelé l'Eglise d'alors à renoncer à la séduction de l'argent pour se recentrer sur sa relation à Dieu. Avec le succès que l'on sait.

  

C'est bien connu : de tous temps, le haut clergé a toujours dédaigné les plaisirs de l'argent, de la table et même de la chair.

C'est bien connu : de tous temps, le haut clergé a toujours dédaigné les plaisirs de l'argent, de la table et même de la chair.

Alors bien sûr, la vertu ne s'atteint pas d'un bond, je le sais : comme vous, et comme nos milliards de semblables, je pèche tous les jours par égoïsme, paresse ou envie. Je prends la bagnole, je mange de la viande d'animaux élevés en batterie et ma poubelle déborde d'emballages en plastique. Parfois, pour les vacances, je pars même en avion à l'autre bout du monde. Bref, je n'ai rien d'un saint. Pourtant, ce n'est pas faute d'être sensible à l'écologie ou aux injustices du libéralisme ; alors, serais-je un Tartuffe ? Il semble que oui. Ou peut-être suis-je tout simplement un prisonnier à demi-consentant de cette grande église néolibérale que nous formons tous, ce vaste corps sacré que chacun, en se soumettant à la consommation comme à un rite, nourrit et fait croître. Un complice forcé, à l'image de ces Français qui, tout en pestant contre l'Occupation, n'osèrent jamais s'engager dans la Résistance...

Mais contrairement à Greg, qui considère que "notre rôle n’est pas d’abord de poser une bougie, ni de faire un joli dessin, ni de nous enrôler concrètement au service de notre pays", mais de retrouver en soi et avec les autres le sens de l'amour christique, je crois que le combat contre le terrorisme, et plus généralement le malheur des hommes, ne saura jamais se payer que de prières et de bons sentiments. Pas plus que le fait d'apprécier les bonheurs de l'existence ne fait de nous des égoïstes ou des consuméristes ; car là où la possession des biens terrestres ne se réduit en général qu'à une jouissance personnelle, leur partage avec quelques amis l'élève, transformant l'amour de soi en l'amour de la Création entière, jusqu'à une idée plus haute du sens de la vie. Et ce n'est pas parce que je profite du confort de notre mode de vie occidental que je m'empêcherai pour autant d'en critiquer les excès !

Alors oui, comme John Oliver, je continuerai d'apprécier les croques-en-bouche et le camembert, à festoyer de vin et de petits plats, car tel le Christ, dont les Ecritures nous rappellent d'ailleurs qu'il était surnommé « le glouton », je dirai : « il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l'homme, voici ce qui rend l'homme impur » (Marc, 7, 15). A croire que le Fils de Dieu, lui aussi, a lu le blog de Greg.

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G
Merci! L'envie me brûle de répondre, par gout de la discussion autant que par l'importance du sujet ou par l'envie de préciser deux trois trucs. Mais je vais d'abord aller me promener sur ton blog. Ca m'évitera de t'enfermer dans des catégories réductrices. Alors Mea culpa!
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S
Merci aussi pour ton honnêteté intellectuelle, et bonne lecture ! Au plaisir de lire ce que tu en auras pensé.