Bénie soit l'industrie !

Publié le par Simon Castéran

Mes biens chers frères et sœurs ! Prenons un instant pour remercier ceux qui, dans ce siècle désespérément en manque de Messie, nous protègent chaque jour de l'injustice de la vie chère : j'ai nommé... La grande distribution.

(Ceux qui pensaient que je remercierai Nicolas Sarkozy, l'inoubliable « président du pouvoir d'achat » de 2007, ou même François Hollande... Sortez de mon église, vous êtes excommuniés !)

Alors oui, je sais bien le trouble qui vous anime. Comme moi, vous avez plus d'un grief contre les Leclerc, Auchan, Carrefour et autres Intermarché. Manipulés par de sournois reportages, vous ne voyez plus en les distributeurs que des monstres affamés d'argent et de pouvoir, qui étranglent les petits producteurs avec leurs contrats de distribution léonins. Qui s'enrichissent sur le dos des consommateurs à coups de vraies-fausses promotions, quand ils ne nous empoisonnent pas avec leurs produits de mauvaise qualité, gorgés d'additifs alimentaires ou plastiques. Et qui détruisent la planète en pillant ses ressources, tout en prétendant militer pour une consommation plus respectueuse de l'environnement. Foutaises marxistes ! Vile propagande des « ayatollahs verts » !

Car oui, les industriels sont nos amis, et il faut les aimer aussi. La grande distribution en particulier, qui souffre tant de sa mauvaise image. Pourtant, chez Leclerc, « la défense du pouvoir d'achat est un engagement historique » depuis 1949. Cela fait en effet plus de cinquante ans que les magasins Leclerc guerroient sans répit contre le gouvernement et la législation pour obtenir le droit de vendre toujours moins cher à ses consommateurs. Une bataille sans cesse renouvelée que rappelle ainsi mon compatriote Benjamin Delalande, de l'université de Toulouse II Le Mirail, dans son intéressant article "Publicité sans frontières. De la pub au politique" publié ici. Ce combat de tous les jours, Michel-Edouard Leclerc en a même fait un étendard, qui proclame fièrement : « Leclerc défend votre pouvoir d’achat ». Oh, bien sûr, je vous connais : vous allez ricaner, et soupçonner ce brave épicier d'être mû par des intérêts bien moins nobles que ceux qu'il affiche. Mais au fond de vous, peuple ingrat, vous savez qu'il ne ment point. D'ailleurs, chez Leclerc, « vous savez que vous achetez moins cher » !

Chez Intermarché aussi, la défense du pouvoir d'achat est une lutte de tous les jours. Comme les héros du temps jadis combattant l'Hydre monstrueux, les distributeurs sont les nouveaux champions de nos sociétés, dont les coups portés à la réglementation tatillonne, au droit du travail et de la concurrence aux blocages institutionnels et à la démagogie  électorale terrasseront bientôt les freins qui pèsent sur la consommation. Taïaut ! Taïaut ! Par ma bourse et la croissance infinie ! 

Bénie soit l'industrie !

Même dévouement sans faille chez son concurrent Carrefour, dont les panneaux publicitaires nous informent dès l'entrée, tout près des caisses, qu'ici, « vous êtes à l'abri de la vie chère » ! Une telle affirmation transforme l'enceinte commerciale en une forteresse des temps modernes, en laquelle nous venons tous chercher refuge, à la manière des gueux et des marchands venant chercher secours et assistance à l'abri des cités médiévales... Les centres commerciaux seraient-ils devenus les villes fortifiées de nos temps ?

Bénie soit l'industrie !

Une telle bienveillance devrait, normalement, être payée de retour. Mais le consommateur est un ingrat, qui n’a même pas la reconnaissance du ventre. Dans un accès de schizophrénie – ou plus probablement, d’hypocrisie – nous nous ruons chaque samedi dans les supermarchés pour acheter viandes, yaourts et confiseries en promotion, jouant avec astuce des bons d’achats et des avantages de carte fidélité, pour nous plaindre ensuite, à table ou devant la télé, de ce que la société commerciale nous empoisonne ! A l’inverse, nombre sont ceux qui prétendent mieux consommer en achetant bio ou auprès des petits producteurs… Mais grimacent quand ils regardent la facture !

L’éthique a un prix, que voulez-vous.

Notons au passage que chez d’autres industriels, le manque de reconnaissance est à ce point cruel que certains en sont venus à nous arracher le « merci » que nous leur refusons. Ainsi l’opérateur Free, qui à l’occasion du lancement de ses nouveaux forfaits, a envahi la France de gigantesques affiches publicitaires proclamant, en toute modestie : « Merci Free ».

Et merci au blog L'errance d'un électrosensible pour cette image si parlante ! (http://electroallergique.wordpress.com)

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Alors, on dit merci qui ?

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